#CRITIQUE : Good Time

Un film de Ben et Joshua Safdie, avec Robert Pattinson, Jennifer Jason Leigh et Buddy Duress.

Une course contre-la-montre fataliste et désespérée

Dans une ruelle crasseuse de New-York, deux jeunes hommes marchent lentement, capuchés, têtes baissées et mentons collés contre la poitrine. Une voiture de police ralentie à leurs côtés. L’officier au volant leur demande de s’arrêter pour les soumettre à un contrôle d’identité et leur poser quelques questions sur un braquage qui vient d’être commis. Le deuxième, un peu en retrait, s’affole, se met à courir et il s’en suit une course poursuite à travers les artères de la Grosse Pomme pour finalement atterrir dans un fast-food. Là, le premier parvient à s’échapper mais pour le deuxième la course s’arrête ici. Après avoir traversé une vitre, celui-ci est inconscient et arrêté par la police. C’est l’histoire de deux frères. L’aîné, Connie, un délinquant marginal et débrouillard et son frère cadet, Nicolas, qui est déficient mental et qui voit en son frère une sorte d’héros indestructible. Connie a réussi à convaincre Nicolas de braquer une banque mais tout n’a pas fonctionné comme prévu. Maintenant que Nicolas est en prison, Connie n’a plus que quelques heures pour réunir la caution qui le fera sortir.

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Ambassadeurs d’un cinéma new-yorkais speed et fauché, les frères Safdie se paient l’ex-star de la saga Twilight, Robert Pattinson, pour tenir le premier rôle de leur nouveau film. Un moyen pour les réalisateurs de s’attirer une audience plus large ? Peut-être, bien que Pattinson a prouvé depuis quelques années déjà que l’étiquette du teenager vampire sexy ne lui collait plus à la peau (les deux films avec David Cronenberg, le récent The Rover ou encore le dernier James Gray, The Lost City of Z). Peut-être même que finalement ce sont les frères Safdie qui mettent Pattinson en lumière et pas l’inverse.

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Car l’acteur britannique n’a jamais été aussi à l’aise et aussi convaincant que dans ce rôle d’antihéros paumé et au bord du précipice. Violent, calculateur, impulsif mais aussi prudent et charmeur, celui que l’on surnommait autrefois R-Pattz tient ici sans aucun doute sa meilleure partition. Un rôle qui s’ancre dans le sillon de celui d’Eric Packer, le boursicoteur parano et hypocondriaque de Cosmopolis, sa première émancipation artistique faite sous la houlette de Cronenberg. Mais le tout en plus affirmé, plus mature et moins poseur.

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Ici, Pattinson livre une performance en équilibre sur le fil du rasoir qui aurait parfaitement sied, dans un autre temps, à un Al Pacino ou un Dustin Hoffman. Car Good Time sent bon le thriller de rue violemment étouffant comme ceux qui ont fait certaines des belles heures du Nouvel Hollywood. On pense à After Hours de Martin Scorsese, Un après-midi de chien de Sidney Lumet ou encore Macadam Cowboy de John Schlesinger, à une plongée deep et sans retour, caméra à l’épaule et au plus près de ses protagonistes complètement perdus dans les zones chaudes et humides de la Grosse Pomme qui est désormais pourrie.

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Mais le film possède une touche moderne indéniable qui vient trancher l’aspect a priori classique d’une telle œuvre. Si la course contre-la-montre fataliste et désespérée peut rappeler également le Danois Nicolas Winding Refn et son Pusher, l’atmosphère en apesanteur tout en néons colorés accompagnée d’une musique électro pesante poussée à saturation lorgne plutôt vers le Spring Breakers d’Harmony Korine. Toutefois, le long-métrage des frères Safdie est beaucoup moins pop et moins insouciant que le film de l’ancien disciple et scénariste de Larry Clark. Good Time serait même une oeuvre tragique, parfois immorale, souvent amorale, dont l’acte final se révèle aussi brutal et inattendu que faussement heureux qui se clôt dans la sueur, le sang et les larmes.