« Démolition »

Un film de Jean-Marc Vallée, avec Jake Gyllenhaal, Naomi Watts et Chris Cooper.

Le deuil par la destruction

Le pitch. Davis Mitchell, riche banquier, perd sa femme dans un accident de la route. Alors qu’il n’arrive pas à ressentir du chagrin, il établit une curieuse correspondance avec Karen, une employée de service après-vente. Entre temps, il se découvre une passion pour la destruction de mobilier. Réfrigérateur, toilettes, ordinateurs… Tout y passe.

L’avis. Il paraît qu’au Texas, on peut louer une « Anger Room », comprendre une chambre à colère. Ou plutôt une salle pour se défouler. Le but ? Canaliser sa colère en défonçant tout ce qui vous passe sous la main. Après une journée stressante au boulot… PAF ! On casse une chaise. Une embrouille de plus avec madame (ou monsieur, rayez la mention inutile)… PAF ! On fracasse une table. Envie de passer ses nerfs ailleurs que sur son petit frère (ou sa petite sœur, rayez à nouveau la mention inutile)… PAF ! On explose une armoire. Alors, quel lien y a-t-il entre une pièce à la fonctionnalité si ubuesque mais a priori nécessaire au bon fonctionnement dans la vie en communauté et nos bonnes vieilles salles obscures ?

Probablement « Démolition », le nouveau long-métrage de Jean-Marc Vallée, dans lequel l’immense Jake Gyllenhaal se prend pour Valérie Damidot puissance 10. Enfin c’est un peu réducteur. Davis, son personnage, traverse une période difficile de deuil où son chagrin ne peut s’exprimer. Pire. L’absence de chagrin lui fait ouvrir les yeux sur ce qu’est sa vie. Soit un amoncellement de futilités matérielles et d’obsessions financières qui l’ont amené au sommet mais aussi déconnecté de la vie réelle.

La thérapie par la destruction lui permet ainsi de se reconstruire, voire, par certains aspects, de renaître et réapprendre à vivre en réparant ses erreurs. Le film joue admirablement sur une dualité ambiguë entre l’avant et l’après du drame. Entre les souvenirs du couple lors du vivant de l’épouse et cette amitié naissante avec cette étrangère, Karen.

Depuis « Café de Flore », en 2013, le cinéma de Jean-Marc Vallée est guidé par ses personnages. Des héros du quotidien, âmes morcelées et anonymes lambda dans la foule, décidant subitement d’aller à contre-courant d’un certain fatalisme existentiel. Que cela soit Cheryl (incarnée par Reese Whiterspoon) dans « Wild », jeune femme plaquant la civilisation pour traverser les U.S.A., ou Ron (joué par Matthew McConaughey) dans « Dallas Buyers Club » s’improvisant redresseur de tort pour la communauté LGBT dans un Texas homophobe.

Des messieurs et mesdames tout-le-monde qui finalement nous renvoient à nos propres expériences de la vie, à nos instants de doutes ou de félicités. En ce sens, « Démolition » est un formidable rollercoaster émotionnel. Il brasse l’amour, la mort, la vie, l’amitié, la filiation, l’acceptation de nos pulsions ou nos aspirations…

Loin d’être moralisateur, le long-métrage a des allures de fable où le défouloir au tractopelle nous fait retourner à l’instinct le plus primaire mais où, dans la scène suivante, une simple note griffonnée à la main nous ramène à notre condition de simple mortel sans défense. Non dénué d’un humour noir ciselé et aidé d’un montage impressionnant, « Démolition » est sans conteste le meilleur film de son auteur à ce jour et l’une des sorties les plus réussies de cette année.

Un commentaire

  1. le cinema avec un grand A · avril 12, 2016

    Plus fort que Dallas Buyers Club ? Je demande à voir :p :p

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